Quand et pourquoi envisager une adaptation du poste de travail après un cancer ?

Après un cancer, 1 personne sur 3 ressent des séquelles physiques ou psychologiques pouvant impacter durablement son activité professionnelle (rapport INCa 2022). Fatigue chronique, baisse d’immunité, troubles cognitifs (le fameux « chemobrain »), difficultés de concentration ou encore effets secondaires des traitements… Ces impacts ne s’arrêtent pas à la porte de l’hôpital. Ils peuvent rendre certaines tâches impossibles à reprendre de façon immédiate ou dans le même cadre qu’avant la maladie.

L’adaptation du poste de travail est donc bien plus qu’une formalité administrative : elle conditionne la capacité à rester en emploi dans la dignité, sans mise en danger, et à éviter la désinsertion sociale. Il peut s’agir de :

  • Réduire ou adapter les horaires (temps partiel thérapeutique, horaires décalés).
  • Aménager le poste (matériel ergonomique, télétravail, modification de la charge de travail).
  • Changer temporairement ou durablement certaines missions.
  • Accéder à une formation pour préparer une reconversion si nécessaire.

Identifier ses droits : les fondamentaux à connaître

En France, le droit du travail et la protection sociale offrent différents dispositifs pour accompagner le retour à l’emploi après un cancer. Voici les principaux leviers pouvant être mobilisés :

  • Visite de pré-reprise et visite de reprise avec la médecine du travail : Obligatoire après une absence de plus de 30 jours (article R4624-31 du Code du Travail). La visite de pré-reprise, à solliciter avant la fin de l’arrêt, permet d’organiser en avance les aménagements nécessaires.
  • Temps partiel thérapeutique : Il permet de reprendre progressivement le travail sur prescription médicale, avec compensation de salaire par l’Assurance Maladie (ameli.fr).
  • Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) : Accordée par la MDPH, elle ouvre l’accès à des mesures d’adaptation de poste, des aides financières et un accompagnement vers l’emploi (Service-public.fr). Elle n’est pas obligatoire, mais facilite l’obtention de moyens concrets pour aménager sa situation.
  • Aides du maintien dans l’emploi de l’Agefiph ou Cap Emploi : Ces structures peuvent financer du matériel, des formations ou des aménagements, sous condition de RQTH ou de limitations fonctionnelles avérées.
  • Congé de longue maladie ou maladie professionnelle : Dans certains cas (exposition professionnelle prouvée), le cancer peut être reconnu comme maladie professionnelle avec des droits renforcés (INRS).

Selon la DARES (2021), seulement 27% des personnes concernées font la démarche de demander la RQTH, souvent par crainte de stigmatisation ou de lourdeur administrative, alors que son impact sur la qualité de reprise est significatif.

Démarches concrètes : étapes clefs et acteurs à solliciter

Avant la reprise : s’organiser avec les bons interlocuteurs

Pendant l’arrêt maladie ou à l’approche de la reprise, il est conseillé d’anticiper les besoins d’aménagement. Voici la marche à suivre :

  1. Échanger avec le médecin traitant et l’équipe hospitalière : Ils évaluent les suites du traitement, la fatigue, les éventuelles séquelles et peuvent orienter vers des spécialistes (oncopsychologue, rééducateur, assistante sociale).
  2. Prendre rendez-vous avec la médecine du travail : La visite de pré-reprise permet de :
    • Faire le point sur les capacités actuelles et les restrictions éventuelles.
    • Préconiser des adaptations (ex : poste assis, horaires allégés, matériel spécifique).
    • Mieux préparer le dialogue avec l’employeur pour des ajustements réalistes et sécurisants.
  3. Contacter l’assistante sociale de l’hôpital ou du service Oncologie : Elle aide à faire le lien entre la sphère médicale et professionnelle, aide à remplir les dossiers (RQTH, demande d’aménagement, fonds d’aides) et informe sur les droits.

Pour les personnes travaillant dans de grandes entreprises, les ressources humaines et les référents handicap sont des soutiens précieux. Dans les PME ou pour les travailleurs indépendants, Cap Emploi et certains réseaux d’associations (comme la Ligue contre le cancer) jouent un rôle pivot d’accompagnement.

Au moment de la reprise : formaliser et suivre les adaptations

  1. Participer à la visite de reprise : Elle a lieu après toute absence de plus de 30 jours. Le médecin du travail formule par écrit ses recommandations à l’employeur.
  2. Dialoguer avec l’employeur : L’entretien de reprise est essentiel pour exprimer ses besoins, clarifier ses contraintes et définir les modalités concrètes d’aménagement.
  3. Mettre en place les adaptations :
    • Temps partiel thérapeutique si besoin (demande à faire auprès de l’Assurance Maladie, sur prescription médicale).
    • Modification de poste temporaire ou adaptation d’horaires.
    • Installation d’un matériel spécifique (écran adapté, fauteuil ergonomique, etc.) via l’Agefiph ou la MDPH.
  4. Faire un suivi régulier avec la médecine du travail : Les adaptations peuvent être ajustées en fonction de l’évolution de l’état de santé.

En cas de difficultés : recours et médiations possibles

Des conflits ou des incompréhensions peuvent survenir avec l’employeur sur la nature ou l’étendue des aménagements. Plusieurs recours existent :

  • Médecine du travail : Peut organiser une réunion tripartite avec l’employeur et le salarié, émettre un avis d’inaptitude partielle ou totale selon la situation.
  • Délégués du personnel ou CSE : Appui pour défendre les droits du salarié.
  • Arbitrage auprès de l’Inspection du travail : Si l’employeur refuse d’appliquer les préconisations médicales.
  • Associations spécialisées : Certaines, comme « Cancer@Work », proposent accompagnement juridique et médiation.

D’après une étude de l’INCa (2020), 68% des personnes confrontées à un cancer jugent que l’accompagnement de leur employeur a facilité leur retour – mais 1 sur 5 cite un manque d’information, d’où l’intérêt d’être entouré et conseillé dès le début de la démarche.

Zoom Île-de-France : acteurs et dispositifs spécifiques

L’Île-de-France est la région disposant du plus grand nombre de structures d’accompagnement pour le maintien en emploi après maladie grave. Parmi les ressources existantes :

  • Le dispositif RESSOURCE : Porté par le réseau ONCORIF, il coordonne médecins, associations et intervenants sociaux pour des parcours individualisés en entreprise (Oncorif).
  • Les Pôles emploi santé de la CARSAT Île-de-France : Appui administratif et social pour la reprise, notamment concernant les financements d’aides techniques ou humaines (CARSAT IDF).
  • Ligne Cancer Info de la Ligue contre le cancer 75, 92, 93, 94 : Conseils gratuits et orientation vers des permanences juridiques.
  • Un réseau dense d’associations : Travail et Cancer (accompagnement psychologique et juridique), Association Française des Malades du Myélome Multiple (accompagnement spécifique pour ce cancer), la Maison des Patients Paris (soutien pluridisciplinaire).
  • Cap Emploi Île-de-France : Accompagnement renforcé pour les personnes en situation de handicap ou fragilisées par la maladie sur tout le territoire francilien (Cap Emploi IDF).

Les questions fréquentes et écueils à anticiper

  • Dois-je obligatoirement informer mon employeur de ma maladie ?
    • Non, seule la médecine du travail connaît les causes médicales de l’absence. Mais pour garantir l’adaptation du poste, il peut être utile de partager des informations sur les limitations ou séquelles, sans rentrer dans le détail du diagnostic.
  • Puis-je demander à tout moment un temps partiel thérapeutique ?
    • Oui, à condition d’être en arrêt maladie et sur prescription médicale. Sa durée varie selon la situation clinique (en général, renouvelable jusqu’à un an).
  • La RQTH me protège-t-elle d’un licenciement ?
    • Non, mais elle impose à l’employeur une obligation renforcée de recherche d’aménagement et justifie, en cas de rupture du contrat, des droits à indemnisation et à l’accompagnement (loi n°2018-771).
  • Que faire si mon employeur refuse un aménagement préconisé ?
    • Se tourner d’abord vers la médecine du travail ou l’Inspection du travail pour examiner la faisabilité et engager une médiation si besoin.

Outils pratiques et ressources recommandées

Pour accompagner chaque étape d’un retour à l’emploi après cancer, plusieurs ressources sont à consulter :

Acteur Rôle Contact Île-de-France
Médecine du travail Évaluation, recommandations d’aménagement Via employeur ou service médical compétent
MDPH RQTH, aménagements spécifiques, aides financières Site mdph.fr
Assistante sociale hospitalière Information, médiation, appui aux démarches Auprès de l’hôpital ou du centre de soins
Cap Emploi Accompagnement au maintien/recherche d’emploi Sites régionaux Cap Emploi (75, 92, 93, 94, etc.)
Associations Soutien juridique, psychosocial, administratif Ligne Cancer Info, Oncorif, Ligue contre le cancer

Vers un travail plus inclusif après le cancer : perspectives et leviers

Adapter le poste de travail après un cancer, ce n’est pas seulement s’ajuster à des limitations. C’est aussi une opportunité, pour l’entreprise comme pour la personne concernée, d’envisager autrement la place de chacun, la flexibilité et le rapport au travail. Selon la Fondation ARC, un accompagnement bien construit multiplie par deux les chances de maintien en emploi à long terme.

La sensibilisation des équipes, l’ouverture du dialogue, la possibilité d’évolution ou de reconversion, sont autant de pistes pour ne pas vivre ces démarches comme un parcours du combattant. Un horizon reste possible : celui d’une reprise en main de sa vie professionnelle, respectueuse de la santé et des choix de chacun(e).

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